mercredi 2 avril 2008

1984 again, all across the bUShA


On nous amuse ces jours-ci avec une flamme qui fait un jogging planétaire, mais pendant ce temps-là personne n'appelle au boycott ou à la rupture des relations avec le pays le plus puissant du monde politiquement et économiquement (ceci expliquant peut-être cela), les Etats-Unis.
Pourtant, il y a de quoi, une des dernières prouesses en date étant le véto en mars de George Bush à une loi interdisant de fait à la CIA d'utiliser des méthodes assimilées à de la torture, méthodes qui de toutes façons sont illégales au regard du droit international.
Pourquoi faut-il une loi pour tenter de faire appliquer une évidence ? (vainement, la majorité démocrate au Congrès n'étant pas suffisamment assez large pour surmonter un véto du Président) Parce que, depuis des années, l'exécutif des Etats-Unis tord le droit, la logique et surtout le langage pour les soumettre à son bon vouloir et à ses objectifs politiques :
  • La guerre contre le terrorisme a le double avantage d'être permanente et non déclarée suivant le droit international, ce qui autorise tous les régimes d'exception et la met à l'abri de tout contrôle.
  • Les méthodes de torture n'en sont pas lorsqu'il s'agit de combattre le terrorisme du fait de l'autorité conférée au Président en temps de guerre.
  • Il suffit de déclarer que les opposants du camp d'en face sont des combattants illégaux et non pas des soldats pour que, comme par magie, toute la protection que que les conventions internationales sont censées leur procurer soient d'un seul coup caduques.
  • Il suffit d'utiliser une base américaine située sur l'île de Cuba pour y enfermer ces prisonniers-qui-ne-sont-pas-des-prisonniers-de-guerre légalement puisqu'on décide que dans ce territoire improbable ne s'appliquent ni les lois américaines, ni les lois cubaines, ni les règles internationales.
Etc, etc, etc. Malheureusement.

Cela fait longtemps que, en lisant les contorsions sémantiques des responsables politiques, des conseillers, des juges et de tous ceux qui soutiennent le pouvoir américain, je me dis que George Orwell ne s'est trompé que de quelques années et que son 1984 aurait pu s'appeler 2001, le 11 septembre étant le principal prétexte utilisé par les Bushers pour justifer la novlangue qui leur permet d'assoir leur totalitarisme anti-terroriste. On est aussi vraiment dans l'ambiance de La ferme des animaux.
En recherchant quelques informations sur le sujet, j'ai eu la confirmation que cette analogie entre les Etat-Unis aujourd'hui et 1984 est une évidence largement partagée. Mais cela va bien au-delà de ce que j'avais en tête, 24 ans après avoir lu le roman ostensiblement à Londres, là où il est situé, et en 1984, c'est à dire ce triturage du langage et de la logique au service d'un but unique : justifier une lutte contre le terrorisme libre de tout carcan légal.
Il n'est sûrement pas le premier à l'avoir signalé, mais dès le 22 septembre 2001, commentant un discours de George Bush au Congrès, David Levich écrivait pour CommonDreams.org dans un article intitulé "Bonne année, nous sommes en 1984" :
"Avec 17 ans de retard, 1984 est arrivé. Dans son discours au Congrès jeudi dernier, George Bush a effectivement déclaré une guerre permanente -- une guerre sans limite temporelle ou géographique ; une guerre sans objectifs clairement définis ; une guerre contre un ennemi mal défini et changeant constamment. Aujourd'hui c'est Al-Quaeda; demain ça sera peut-être l'Afghanistan; l'an prochain, peut-être l'Irak, Cuba ou la Tchétchénie."
David Levich montre ensuite que Bush entend appliquer les principaux slogans du Parti de 1984 :
  • « La guerre, c'est la paix. »
  • « La liberté, c'est l’esclavage. »
  • « L'ignorance, c'est la force. »
Malheureusement, David Levich était plus que clairvoyant, ce que confirme par exemple un article de David Kurtzman de 2002, "Learning to love Big Brother", ou un autre de Dan Froomkin en 2006, "War is peace".

En perpétuel optimiste que je suis, quand je chantais en 1982 le Winston and Julia de Polyphonic Size ("Tu sais l'Océanie, l'Estasia, l'Eurasia, ça existe déjà"), je ne prenais pas vraiment ces paroles au pied de la lettre. Aujourd'hui, quand je lis la note interne déclassifiée du département de la justice américain autorisant les enquêteurs militaires à utiliser des méthodes poussées lors d'interrogatoires de talibans et de membres d'Al-Qaida ou quand j'écoute en rédigeant ce billet George Bush à la radio se féliciter "pour la Démocratie" de la décision de la France d'envoyer des renforts en Afghanistan, mon opinion a bien changé.